Le mardi 22 avril 2025, un souffle nouveau a traversé Pétion-Ville. Dans une ambiance à la fois feutrée et vibrante, le Collectif Haïtien pour le Développement Artistique (COHDA) a convié artistes, penseurs, créateurs, citoyens engagés et amis de la culture à un cocktail symbolique. Si ce rassemblement n’était pas encore le lancement officiel de la structure – prévu pour juin – il en portait déjà l’âme et la promesse. Ce fut une soirée pour dire haut et fort que l’art n’est pas une décoration en marge de la société haïtienne, mais une force capable d’en redessiner l’avenir.
Le cœur de l’événement battait dans les mots inspirés du président du collectif, Daniel Joseph, qui a dressé un constat lucide, mais porteur d’espoir : Haïti ne pourra renaître sans se réconcilier avec sa culture. Pour lui, l’art haïtien ne doit plus être réduit à un simple produit folklorique. Il est mémoire, identité, résilience, langage universel. À ses yeux, la société haïtienne a trop longtemps marginalisé les artistes, relégué la création au silence ou à l’exil. Il est temps, dit-il, de replacer l’art au centre des préoccupations sociales, économiques et politiques.
L’histoire du COHDA commence de manière simple : quelques passionnés discutant autour d’un idéal commun. Très vite, l’idée a pris forme, gagnant des voix, des visages, des disciplines. Musiciens, peintres, architectes, sportifs, juristes, communicants : ils sont aujourd’hui plus d’une cinquantaine à porter ce projet comme un étendard. Ce qui les unit, ce n’est pas seulement une passion partagée, mais une conviction profonde que la reconstruction nationale passe aussi par l’imaginaire et la beauté.
Dans une Haïti secouée par les crises successives, l’insécurité, l’effondrement des institutions et la perte d’horizons communs, la démarche du COHDA résonne comme un acte de résistance pacifique. À travers la culture, il s’agit de reconstruire un tissu social, de créer des ponts entre générations, de réactiver la mémoire collective. Le cocktail organisé ce soir-là n’avait rien d’un événement mondain déconnecté du réel : il incarnait la volonté d’ouvrir des espaces de dignité dans une société blessée.
Parmi les moments marquants de la soirée, l’intervention de l’historien Michel Soukar a rappelé la nécessité d’accompagner les jeunes talents avec rigueur et exigence. La culture ne suffit pas à elle seule, disait-il, elle a besoin d’un encadrement, d’un cadre, d’un souffle structuré pour porter l’élan créateur. Il a aussi salué la naissance du COHDA comme une réponse à la solitude des artistes et à l’effacement progressif des figures tutélaires.
L’artiste plasticien Philippe Dodard, quant à lui, a présenté le logo du collectif avec une sensibilité rare. Chaque lettre, chaque couleur, chaque trait a été pensé comme un message, une porte ouverte sur l’avenir. Il a parlé avec émotion de l’importance de créer avec amour, dans un pays où l’amour de soi et de l’autre semble parfois se dissoudre dans la violence.
Le batteur Roro de Djakout Number One a livré un témoignage poignant sur les débuts difficiles de sa carrière. Il a exprimé son soutien au collectif avec la certitude que de tels projets peuvent désormais offrir aux jeunes la chance qu’il n’a pas eue. Son message était clair : croire encore, même quand tout semble s’effondrer.
Au fil de la soirée, ce qui s’est dessiné, ce n’est pas seulement une stratégie culturelle, mais une vision de société. Une société où chaque création artistique est un acte politique dans le sens le plus noble du terme. Une société où l’art devient outil de dialogue, d’éducation, de transmission, de mémoire. Daniel Joseph l’a affirmé avec force : le COHDA n’est pas un simple regroupement d’artistes, c’est un espace de solidarité, une plateforme citoyenne, un projet de transformation sociale.
Dans le contexte actuel, où tant de repères vacillent, le COHDA se veut un phare, un point de convergence pour toutes celles et ceux qui croient encore en la puissance transformatrice de la culture. La soirée s’est clôturée sur un appel clair : rejoindre le mouvement, contribuer à sa dynamique, faire de la culture non pas un luxe réservé à quelques-uns, mais un bien commun porteur d’avenir.
Le chemin est encore long, mais les premiers pas ont été posés. Et dans chaque regard, dans chaque mot prononcé ce soir-là, il y avait cette certitude fragile mais tenace : qu’en Haïti, l’art peut encore tout recommencer.